Prédication de l’évêque Patrick Streiff «Ensemble, au-delà des âges »

„Ensemble au-delà des âges“ -

„Voici ce que je te donne, à toi, ton fils et ton petit-fils, afin que tu vives longtemps“ (Dt. 6,2)


Qui a fait l’expérience de l’amour de Dieu dans son cœur va en conséquence, deuxièmement, aimer Dieu de tout son cœur; et troisièmement, il va aimer son prochain comme soi-même.

La communauté se construit et  l’entente entre les générations est encouragée

Ensemble au-delà des âges, c’est des histoires que l’on se transmet et des expériences vécues en commun. Quand le petit-fils demande à sa "mémé" (grand-mère) de lui raconter encore une histoire de son enfance à la ferme ou dans le quartier ouvrier, des relations se tissent entre les générations. Lorsqu’un groupe de Flambeaux organise un camp sous tente avec jeux et patrouilles nocturnes passionnantes, ils vivent ensemble des expériences qui relient les animateurs et les enfants. Lorsque, comme en ce dimanche de conférence, nous ordonnons des personnes, certains d’entre nous ont des relations très étroites avec ceux qui sont ordonnés. D’autres par contre ne les connaissent pas personnellement et ont découvert ce matin que nous avons aussi des églises locales en France et même en Afrique du Nord. C’est ainsi que se constitue un tissu d’expériences et de relations. La communauté se construit et l’entente entre les générations est encouragée.


L’édification d’une communauté

En réfléchissant à ce vivre ensemble des générations, des histoires de l’Ancien Testament me sont revenues en mémoire. Comment a fait le peuple d’Israël ? Comment ont-ils pu avancer ensemble pendant des générations ? A la fin d’un long périple dans le désert, juste avant qu’il puisse entrer dans la Terre Promise, le peuple a reçu de Dieu un commandement très clair: „Voici ce que je te donne, à toi, ton fils et ton petit-fils, afin que tu vives longtemps. “ (d’après Dt. 6,2). Je reviendrai à la fin du sermon sur le contenu  de ce commandement de Dieu. Mais d’abord, ce qui m’a fasciné, c’est la façon dont l’édification d’une communauté doit être consciemment pratiquée et encouragée pendant des générations.

Passe par la transmission de la foi

Ici et à maints autres endroits de l’Ancien Testament, il est question de transmettre ce que l’on a reçu aux enfants et aux petits-enfants. La communauté ne prend forme que là où les gens ont du temps les uns pour les autres, s’écoutent les uns les autres, font ensemble des expériences et les transmettent aux générations suivantes. L’Eglise, en tant que communauté de croyants, dépend de ce que vous participiez, avec beaucoup d’autres chrétiens, à l’édification de cette communauté.

D’une génération à l'autre

Dans le temps, cette transmission consistait toujours en un transfert vers la génération suivante, plus jeune, donc des aînés aux plus jeunes et, encore plus précisément, du père de famille à sa femme et ses enfants. Depuis, et heureusement, nous nous sommes habitués à ce que cette transmission n’est plus seulement une tâche des pères, mais aussi des mères. Déjà de leur temps, les frères Wesley ont bien plus reçu comme bagage pour la vie de leur mère Susanne que de leur père Samuel. Et dès les premiers temps du réveil méthodiste, les femmes ont souvent mieux su parler de la foi en Christ que les hommes. Il est bon qu’il y a 60 ans, nous ayons décidé que dans l’Eglise, les femmes peuvent exercer comme les hommes tous les ministères et toutes les fonctions de directions. Mais il me paraît qu’un nouveau changement a eu lieu, dont nous n’avons pas encore suffisamment pris conscience en tant qu’Eglise : il y a de nouvelles pratiques que nous, les aînés pouvons apprendre des jeunes. Qui d’entre nous, âgé de plus de cinquante ou soixante ans, n’a pas déjà vu ses enfants ou petits-enfants lui montrer comment quelque chose fonctionne sur l’ordinateur ou le portable ? Les jeunes nous ont ainsi ouvert des mondes nouveaux. En tant qu’Eglise, nous avons encore à apprendre comment la collaboration des générations peut aussi fonctionner dans le sens des jeunes vers les aînés et apporter ainsi une contribution enrichissante à l’édification de la communauté.   

Apprendre des conflits intergénérationnels

Un deuxième point: 
Quand on lit dans l’Ancien Testament l’histoire du peuple d’Israël, on s’aperçoit que ce n’était pas la joie et que l’ambiance était loin d’être au beau fixe. Déjà dans le premier livre de la Bible, les histoires de famille des patriarches étaient bourrées de conflits. Si l’on ne connaissait pas la suite du récit et ne savait pas  que Dieu y avait donné un dénouement heureux, on pourrait vraiment  se demander s’il était possible que les choses finissent bien. Abraham et Lot avaient convenu de se séparer par gain de paix pour résoudre un conflit concernant les bons pâturages et l’eau. Entre les fils jumeaux d’Isaac, Esaü et Jacob, le conflit s’était envenimé au point que Jacob a dû fuir pour sauver sa peau. Ce n’est qu’à l‘âge venu que les deux se sont réconciliés. Les fils de Jacob n’étaient en rien meilleurs et leurs continuelles histoires de jalousie auraient fini par ruiner la santé de leur vieux père, si pour finir le fils aimé que l’on croyait mort depuis longtemps n’avait pas fait une carrière étonnante en Egypte.   

Pour tirer des leçons aujourd’hui

Ce qui m’étonne le plus dans tout cela, c’est que la Bible raconte ces histoires sans les enjoliver ni les passer sous silence. Il y aurait là nombre de leçons à tirer par rapport à notre cohabitation des générations. En tant qu’Eglise, nous avons plutôt honte quand de tels conflits surgissent chez nous. Souvent, on les étouffe autant que possible, mais ils continuent à couver sous la cendre et à empoisonner l’atmosphère. Ou alors ces histoires sont répandues sur un ton satisfait, afin que tout le monde sache bien qui sont les coupables et ce qui ne se fait pas. La main sur le cœur : qui d’entre vous a déjà rapporté une pénible histoire de conflit familial ou paroissial – objectivement et avec sensibilité, sans accusation et avec tant de compassion que les auditeurs sont reconnaissants que Dieu puisse tracer des lignes droites dans des situations si tordues. 

On ne devrait pas enjoliver de telles histoires et il faut aussi en évoquer les aspects peu sympathiques, sans quoi on ne parviendra pas à édifier une communauté solide. Les histoires de l’Ancien Testament demandent même une telle franchise. Quand les croyants apportent avec reconnaissance et fierté la dîme des récoltes au prêtre, ils sont invités à déclarer: „Alors devant le Seigneur ton Dieu tu prendras la parole : mon père était un Araméen errant. …“ (Dt 26,5) C’est presque offensant de s’entendre constamment  rappeler que mes ancêtres étaient si pauvres. Ou bien est-ce que vous commencez votre Fête des moissons  avec : "Nous reconnaissons devant le Seigneur : nos pères étaient des 'mômiers' (piétistes) rejetés et victimes de moqueries " ? 

De telles réminiscences favorisent reconnaissance et solidarité

A tout le moins en Suisse et en France, nous bénéficions d’un bien-être croissant; nous aurions dès lors tous de nombreuses histoires relatives à la précarité régnant à l’époque dans nos familles et nos paroisses. Dans la Bible, de telles réminiscences servent à maintenir une attitude de reconnaissance et de solidarité avec les nécessiteux. C’est ainsi que nous trouvons à la fin de l’exhortation la plus importante sur ce qu’il y a lieu de transmettre aux enfants et petits-enfants: “ Quand le SEIGNEUR ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob, de te donner - pays de villes grandes et bonnes que tu n’as pas bâties, de maisons remplies de toutes sortes de bonnes choses que tu n’y a pas mises, de citernes toutes prêtes que tu n’as pas creusées, de vignes et d’oliviers que tu n’as pas plantés, - alors, quand tu auras mangé à satiété, garde-toi bien d’oublier le SEIGNEUR qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude." (Dt. 6,10-12). Qui a toujours une assiette pleine et encaisse son salaire ou sa pension sur son compte à la fin du mois, est en danger d’oublier Dieu, qui donne toutes les bonnes choses. 

L’amour de Dieu et l’amour du prochain

Ce qui me mène à mon troisième point,
au contenu de ce que nous devons transmettre lors de tout établissement de relations, de vie commune, de communauté. J’étais en effet parti du commandement que Dieu avait donné au peuple après la longue marche dans le désert et avant l’entrée dans la Terre Promise : "Voici ce que je te donne, à toi, ton fils et ton petit-fils, afin que tu vives longtemps“ (d’après Dt. 6,2) Qu’est-ce donc que Dieu a donné au peuple à cette occasion ? Ce n’étaient pas les Dix Commandements; le peuple les avait déjà reçus pendant la longue marche dans le désert. Mais maintenant, avant l’entrée dans la Terre Promise, Dieu veut rappeler encore une fois au peuple ce qui est vraiment essentiel, la priorité absolue. Le contenu de ce qu’il leur dit maintenant, les gens devront plus tard le fixer sur les montants de leurs portes, le porter sur le front et l’attacher à leur  main, comme les Juifs orthodoxes le font littéralement aujourd’hui encore.  

Voici le commandement qu’Israël a dû entendre à l’époque et qu’avec lui l’Eglise du Christ  doit  entendre aujourd’hui: „ECOUTE Israël : Le SEIGNEUR notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. Et ces paroles de commandements que je te donne aujourd’hui, seront présentes à ton cœur; tu les répéteras à tes fils ; tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout." (Dt. 6,4-7)

Force et motivation pour le vivre ensemble des générations dans la communauté

Dès que nous avons fait nous-mêmes l’expérience de l’amour que Dieu veut répandre dans nos cœurs par le Saint-Esprit, notre amour pour Dieu deviendra la force la meilleure et la plus motivante  pour vivre dans l’Eglise un « Ensemble au-delà des générations ». Elle développe une communauté solide et performante. Ou, pour citer le pas de trois de l’amour de Wesley: Qui a fait l’expérience de l’amour de Dieu dans son cœur va en conséquence, deuxièmement, aimer Dieu de tout son cœur; et troisièmement, il va aimer son prochain comme soi-même. 

  C’est pourquoi : racontez-vous des histoires, dites d’où vous venez, ce que vous avez appris, et ne refoulez pas les épisodes douloureux. C’est justement en relation avec ceux-ci que se manifeste la force transformatrice de l’amour. C’est là-dessus que peut s’édifier le vivre ensemble des générations dans la communauté. Amen.

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